Icône

Aidez-nous à poursuivre notre travail de recherche indépendant

Devenez membre

En santé, une refondation sans toucher aux fondations?

8 février 2022

Lecture

4min

  • Anne Plourde

Face aux défaillances majeures du réseau de la santé et des services sociaux constatées depuis le début de la pandémie de COVID-19, le gouvernement Legault s’est récemment engagé à réaliser une véritable « refondation » du système de santé. Si une telle promesse suscite l’espoir de changements radicaux pour un réseau qui en a bien besoin, les informations disponibles jusqu’à maintenant quant à la nature de cette nouvelle réforme laissent présager d’amères déceptions.

Il est aujourd’hui clairement établi par de nombreux rapports et enquêtes – dont plusieurs ont été publiés ou menés avant que la COVID-19 ne déferle sur le Québec – que la réforme centralisatrice imposée en 2015 par l’ancien ministre libéral de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, a fortement miné la capacité du réseau à remplir sa mission. Les conséquences catastrophiques de cet affaiblissement ont été telles durant la pandémie qu’il apparaît désormais incontournable de revoir en profondeur l’organisation et les pratiques au sein du système de santé.

En cela, parler d’une nécessaire refondation du réseau n’est pas exagéré. Cependant, lorsqu’on y regarde de plus près, on constate que la réforme proposée par le gouvernement ne permettra aucunement d’ébranler les « fondations » délétères du système de santé actuel, construites durant plusieurs décennies de politiques et de réformes néolibérales, dans lesquelles la réforme de 2015 plongeait elle-même profondément ses racines.

La nouvelle réforme doit s’articuler autour de quatre axes, à savoir les ressources humaines, la disponibilité des données, les systèmes informatiques et les infrastructures.

Notons d’abord que malgré la promesse faite à l’automne dernier de réaliser une « vaste décentralisation » du réseau, la remise en question de la structure fortement centralisée et bureaucratique héritée des dernières décennies ne fait pas partie des axes de la réforme proposée. À cet égard, il est révélateur que cette « refondation » soit conçue dans les officines du ministère plutôt qu’à travers une vaste consultation de la base, c’est-à-dire des citoyen·ne·s et des travailleuses et travailleurs sur le terrain. Autrement dit, cette réforme est menée dans une logique top-down typique de la gestion néolibérale qui mine le réseau depuis si longtemps. On apprenait d’ailleurs la semaine dernière que c’est Daniel Desharnais, sous-ministre adjoint à la Santé et ancien bras droit de Gaétan Barrette, qui est chargé de mener la réforme souhaitée par le gouvernement caquiste.

Si on souhaite un système de santé et de services sociaux véritablement centré sur les besoins de la population et ancré au sein des communautés locales, ce sont pourtant les actrices et ces acteurs de la base qui devraient justement constituer les nouvelles « fondations » du réseau. Concrètement, cela signifierait par exemple de recréer les instances démocratiques qui existaient dans les CLSC, les CHSLD et les hôpitaux avant les réformes néolibérales des années 2000. Nommer d’en haut des gestionnaires locaux dans les CHSLD est largement insuffisant.

En ce qui concerne plus directement les quatre axes de réforme choisis par le gouvernement, on reste avec l’impression que celui-ci ne s’attaque pas aux problèmes de fond et qu’il risque en fait de rater la cible. Ainsi, investir dans les infrastructures est peut-être nécessaire, mais la construction de nouveaux hôpitaux et de maisons des aîné·e·s ne fera rien pour diminuer le caractère hospitalo-centrique du réseau et pour répondre au désir des personnes en perte d’autonomie qui souhaitent avant tout pouvoir rester chez elles le plus longtemps possible. C’est d’investissements majeurs dans la première ligne et d’un virage massif vers les services de soutien à domicile dont le système de santé a avant tout besoin.

On comprend bien sûr la volonté d’améliorer la circulation de l’information au sein du réseau en facilitant l’accès aux données du terrain pour le ministère et en uniformisant les systèmes informatiques. De même, on ne peut qu’être d’accord avec le fait que les ressources humaines doivent être un des principaux fondements du système de santé et de services sociaux.

Toutefois, une priorité à cet égard devrait être de redonner aux travailleuses et aux travailleurs du système sociosanitaire leur pleine autonomie professionnelle et de les libérer des modes de gestion autoritaires et déshumanisants qui, en plus d’entraîner une démotivation et une perte de sens au travail, les musèlent et les empêchent de dénoncer les problèmes constatés sur le terrain, privant ainsi la population, le ministère et les élu·e·s d’informations cruciales sur la qualité et la sécurité des services.

La pandémie de COVID-19 a révélé à quel point les problèmes du système sociosanitaire sont nombreux et profonds. Le reconstruire sur des bases solides ne pourra pas se faire sans en ébranler les fondations malsaines façonnées au fil des réformes néolibérales qui ont ponctué son histoire.

VOUS AIMEZ LES ANALYSES DE L’IRIS? SONGEZ À DEVENIR MEMBRE!

Icône

Restez au fait
des analyses de l’IRIS

Inscrivez-vous à notre infolettre

Abonnez-vous

Partager

Commenter la publication

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *