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Petite introduction à la « Modern Monetary Theory »

22 janvier 2021

  • SN
    Simon Newman

La théorie monétaire moderne (Modern Monetary Theory ou MMT en anglais), est une école de pensée qui remet en question plusieurs principes fondamentaux des théories économiques orthodoxes. Ses postulats ont fait le sujet de plusieurs débats récemment, entre autres car elles mettent en évidence des contradictions qui apparaissent parfois dans notre discours public. Par exemple, en 2018, le NPD voulait dépenser 1,8 milliard pour fournir de l’eau potable à des communautés des Premières Nations et plusieurs journalistes et politiciens leur ont alors demandé où on allait trouver une telle somme. Deux ans plus tard, en 2020, la réponse à la pandémie a élevé le déficit fédéral à plus de 380 milliards. Où a-t-on trouvé tout cet argent?

Quelques remarques sur l’argent

L’argent n’est pas une ressource tangible comme le pétrole, que l’on trouve en quantité limitée sur la Terre. Plutôt, l’argent est une création humaine qui se présente aujourd’hui sous la forme de billets, de pièces ou de données électroniques. Alors pourquoi donne-t-on autant d’importance à cette monnaie si elle n’a aucune valeur intrinsèque? Selon les économistes qui adhèrent à la MMT, les gouvernements créent une demande pour leur monnaie en nous obligeant à payer de l’impôt.

La logique est simple : le gouvernement canadien a le pouvoir de prélever de l’impôt et d’entamer des poursuites criminelles en cas d’évasion fiscale. De plus, il accepte seulement qu’on lui fasse des paiements en dollars canadiens. Des millions d’individus et d’entreprises qui veulent participer à l’économie canadienne se voient alors obligés d’obtenir ces dollars pour pouvoir payer de l’impôt sur les revenus qu’ils vont toucher. Tous ces gens sont donc prêts à accepter des dollars en échange des biens et services qu’ils vendent. Imaginons par exemple ce qui arriverait si le gouvernement français décidait de quitter la zone euro, réintroduisait le franc et arrêtait d’accepter les euros en paiement d’impôt. Toutes les personnes œuvrant dans l’économie française se verraient forcées d’accepter cette nouvelle devise.

La souveraineté monétaire

Le gouvernement canadien 1) n’a aucune obligation de convertir ses dollars pour une quantité fixe d’or ou de monnaie étrangère, 2) laisse le taux de change du dollar canadien flotter librement dans le marché des devises étrangères, et 3) garde la mainmise sur ses obligations financières qui sont toutes libellées en dollars canadiens. Ces trois conditions donnent au Canada ce qu’on appelle une pleine souveraineté monétaire, et la conséquence principale de cette souveraineté est que le gouvernement fédéral ne peut jamais être à court de sa propre monnaie. Du coup, les dollars payés en impôt au fédéral n’ont pas à être gardés dans un coffre pour être dépensés plus tard.

Alors, d’où vient l’argent que le gouvernement utilise pour ses dépenses, si ce n’est pas des revenus qu’il perçoit? Le gouvernement fédéral a un compte avec la banque centrale du Canada qui s’appelle le compte de la trésorerie. Pour effectuer un paiement, la banque centrale débite (baisse le solde) de la trésorerie et crédite (augmente le solde) d’une banque commerciale (Desjardins, CIBC, etc.). Par exemple, quand j’ai reçu un paiement de la Prestation canadienne d’urgence (PCU) cet été, le solde de la trésorerie à la Banque du Canada a baissé de 2000 $, le solde que ma banque tient avec la banque centrale a augmenté de 2000 $ et ensuite, ma banque a ajouté 2000 $ à mon compte chèque.

L’argent joue un rôle si important dans notre quotidien qu’il peut être difficile de croire que la création monétaire soit un phénomène aussi banal. Pourtant, toutes les dépenses et tous les revenus d’un gouvernement se résument à des chiffres enregistrés dans des comptes électroniques. Quand le gouvernement dépense plus que ce qu’il reçoit en impôt, il crée un déficit qui n’est rien de plus qu’une baisse du solde de la trésorerie. Si les déficits persistaient et que le solde de la trésorerie s’établissait à zéro ou devenait négatif, ce serait un événement sans conséquence. Le gouvernement anglais a par exemple autorisé ce genre de découvert pendant la pandémie de COVID-19. En pratique, le compte de la trésorerie canadienne a toujours une balance positive car le gouvernement vend des obligations. Cette pratique a pour effet de remonter son solde, mais c’est un exercice de comptabilité complètement anachronique et facultatif.

Tous les gouvernements ne disposent cependant pas d’une pleine souveraineté monétaire. Par exemple, les provinces et municipalités du Canada doivent d’abord obtenir des dollars avant de pouvoir les dépenser. Or, les gouvernements qui ont comme le Canada une pleine souveraineté n’ont pas ce type de contrainte financière. C’est pourquoi le gouvernement canadien n’a pas eu besoin de percevoir un impôt spécial pour financer sa réponse à la pandémie. Il a littéralement créé cet argent en augmentant le solde de nos comptes bancaires électroniques.

Contraintes sur les dépenses : l’inflation et l’économie globale

Bien que le gouvernement canadien ne sera jamais à court de dollars, il est contraint dans ce qu’il peut acheter avec l’argent qu’il crée.

Premièrement, la richesse qui existe à l’intérieur de nos frontières est limitée et si le gouvernement fédéral veut acheter des biens et services déjà utilisés, il peut causer de l’inflation, soit une hausse des prix. Pour illustrer le concept, supposons que le salaire moyen d’un plombier s’élève à 30 $/heure et que le gouvernement veut embaucher 500 plombiers pour un projet d’infrastructure. S’il y a 500 plombiers en recherche d’emploi qui sont prêts à accepter le salaire moyen en échange de leurs services, l’embauche n’aura pas de conséquence directe sur le prix des services de plomberie. Par contre, si tous les plombiers travaillaient déjà pour 30 $/heure et que le gouvernement souhaite les embaucher, il devra leur offrir un salaire plus élevé pour les inciter à travailler pour lui. Ce faisant, il pourrait générer de l’inflation.

Deuxièmement, les biens et services des autres pays ne sont généralement pas vendus en dollars canadiens. Plusieurs facteurs souvent hors de notre contrôle (comme le prix du pétrole) affectent toutefois les taux de change (le prix) que nous devrons payer pour ces marchandises. Une forte demande internationale pour le dollar canadien nous permet d’importer plus que ce que nous exportons et cet influx de biens et services augmente notre richesse réelle. Ainsi, quand la demande dans la communauté internationale pour nos dollars baisse, cela diminue les biens et services que nous avons à notre disposition et réduit notre richesse matérielle.

Conclusion

En somme, si l’on résume les principes de la MMT, puisque le gouvernement fédéral jouit d’une pleine souveraineté monétaire, une pénurie de dollars ne pourra jamais survenir au Canada. Par contre, notre richesse réelle est limitée par les biens et services que nous possédons et par ceux que nous sommes capables d’importer de l’étranger. Ce que nous décidons de faire avec ces ressources est donc une question politique et la comptabilité des dépenses du gouvernement fédéral ne devrait jamais être un obstacle à nos buts collectifs.

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